COMMENT EST NÉE LA FÉDÉRATION POUR L’ENVIRONNEMENT EN MAYENNE (FE 53) ?
Par Roger GODEFROY, l’un des trois co-fondateurs de la Fédération avec Albert BADIER et Jean-Paul BEILLARD.
Son témoignage a été prononcé lors de la journée fédérative du samedi 13 mai 2023, à l’Observatoire de Maisoncelles-du-Maine devant une trentaine de personnes représentant 12 associations et 4 adhérents individuels.
« Depuis sa fondation en 2011, l’activité de FE 53 n’a cessé de croître, permettant à notre Fédération d’être à ce jour un acteur reconnu par les autorités, institutions et collectivités de la Mayenne pour son expertise et ses valeurs.
Cette reconnaissance, au-delà de son formalisme officiel, est la résultante et l’illustration du potentiel d’une fédération réunissant 25 associations départementales ou locales permettant de mutualiser leurs compétences et la disponibilité de leurs membres en prenant en charge les grands dossiers transversaux d’intérêt général.
Historique et acquis de 12 ans de FE 53
1 – Comment a été créée la Fédération ?
Les fondations datent de 2008, suite aux enquêtes publiques réalisées à Bellebranche, Saint-Georges, Arquenay, Forcé, La Bazouge-de-Chémeré et la Charnie qui ont entraîné un travail en réseau des opposants riverains aux projets.
Pour ma part, j’ai commencé mes premières enquêtes publiques avec Jean VAUZELLE et Albert BADIER, une par mois. Grâce à eux ou à cause d’eux, je suis tombé dans la marmite et je n’en suis toujours pas ressorti.
A) Phase pionnière : apport de Mayenne Nature Environnement (MNE) avec Alice BURBAN et Benoit
DUCHENNE, qui ont compris au regard des premiers résultats obtenus la nécessité de structurer en
réseau les associations de défense de l’environnement.
B) La FE 53, « bras armé » du courant MNE reflété par :
a. une volonté d’indépendance vis-à-vis des élus, des services de l’État et des lobbies existants (agriculture, industrie) ;
b. le bénévolat des membres ;
c. l’absence d’aides financières publiques, FE 53 ne vivant que des adhésions ;
d. l’appui rapide de France Nature Environnement Pays de la Loire (FNE PDL) pour apporter de la cohérence dans nos positions et un soutien juridique indispensable. À l’épreuve du temps, ce lien est une des clés de notre stratégie parfois gagnante.
C) Nous étions face à une page blanche : il fallait tout inventer, découvrir, organiser.
Avec des individus d’horizons différents, militants ou non, partageant les mêmes valeurs. En l’absence de
modèle qui convenait aux membres, une créativité et une stimulation à s’attaquer à de très
nombreux projets nuisibles à l’environnement (agriculture, carrières, la LGV, etc.).
2 – Quels ont été les objectifs ?
– l’information au grand public sur des sujets porteurs et d’actualités ;
– l’accompagnement des associations de riverains : quatre adhésions sur cinq dès les premières années.
Cet accompagnement commence dès la constitution du collectif par l’écriture des statuts et peut aller jusqu’aux recours contentieux près du Tribunal Administratif. Ce qui peut durer de deux à quatre ans. Le rôle de FE 53 est pédagogique car il repose beaucoup sur l’explication des procédures et des conduites à tenir.
Par une activité d’écoute, c’est aussi aider à rassembler, motiver et se motiver.
Un rôle de support est indispensable au moment des enquêtes publiques pour déposer et argumenter une opposition au projet, aider à la constitution d’une pétition, assister aux réunions publiques, rencontrer les services de l’État, les élus et établir des relations avec la presse.
3 – Avec quelle ligne de conduite ?
A) Créer un rapport de force « pacifique » et de ne pas être contre tout ;
o La FE 53 par son habilitation à participer au débat public et son agrément au titre de l’environnement obtenus en 2014 siège dans de nombreuses commissions administratives : CODERST, CDPNAF, commissions Carrières ainsi que dans une vingtaine de Commissions de Suivi de Site (CSS) ;
o nous avons imposé le débat au sein de ces représentations qui n’étaient que des chambres d’enregistrement et où maintenant la prise de parole de FE 53 est attendue, entendue et quelques fois écoutée.
· B) Contester en argumentant et en proposant des alternatives :
o principe auquel la Fédération est attachée ;
o nécessitant beaucoup d’investissement pour rechercher, établir les contacts avec toutes les parties prenantes internes et parfois externes au projet.
4 – Dans quel contexte ?
L’environnement est très rarement prioritaire. Les vents peuvent « être contraires » : manifestations de 150 agriculteurs bretons et mayennais à Arquenay contre nous car nous étions déjà perçus comme des « gêneurs » notamment par la FDSEA et la Chambre d’agriculture, les élus locaux et le conseil départemental. C’est un peu moins vrai aujourd’hui, quoique… J’ai subi moi-même des tentatives d’intimidation ou de corruption :
§ appel téléphonique tard le soir me traitant « d’ayatollah de l’environnement » ;
§ 8 tonnes de pneus ont été déposés devant mon portail en 2019.
Qu’est-ce que la « tolérance mayennaise » ? : des services de l’État acceptant des dépassements règlementaires (azote, pH) pouvant atteindre 150% des seuils autorisés !
Puis les temps ont changé et les services de l’État ont admis qu’il y avait eu un avant et un après 2011 (Arquenay, Bellebranche). Je me suis entendu dire qu’avant, on ne savait pas que les recours existaient.
o dernier exemple récent, un maire a déclaré dans la presse qu’il avait délégué son recours à FE parce qu’elle était qualifiée et expérimentée.
C’est le plus beau retour et il faut savourer cet instant.
Le contexte a-t-il changé ?
Oui, évidemment, en particulier depuis l’intervention du président de la République au salon de l’agriculture en 2011 :
« L’environnement, ça commence à bien faire… ».
· on a commencé à détricoter le code de l’environnement, lentement mais sûrement par toutes les forces politiques aux affaires, toutes tendances confondues ;
· les seuils pour les installations classées ont été relevés avec pour conséquences :
o pas ou plus d’enquêtes publiques mais des consultations publiques qui ne nécessitent pas la nomination d’un commissaire enquêteur ;
o délais raccourcis et réductions des formalités ;
o modes d’expression remis en cause ;
o l’évolution du CODERST : réduction drastique d’une réunion mensuelle en 2010 à quatre réunions annuelles au maximum actuellement.
· la mise en place du principe de compensation des zones humides, des haies et du bocage car ces compensations ne sont souvent pas opérantes et s’avèrent maléfiques pour l’environnement.
Et ça continue puisqu’en mai 2023, notre président de la République vient de demander à réduire drastiquement les normes environnementales pour dit-il « faciliter le développement économique » : on peut dire que les études d’impact ont du plomb dans l’aile.
5 – Quelles activités ? Pour quels résultats ?
Depuis 2011, plus de 35 associations ont adhéré. Aujourd’hui 25 cotisent toujours.
Le cycle habituel d’une association de riverains est que lorsque le(s) problème(s) est(sont) résolu(s), l’objectif de l’association cesse d’exister et donc elle est dissoute.
Les associations membres sont de moins en moins constituées de riverains (contestation forte) favorisant l’émergence de compétences nouvelles au sein de FE53 : bocage, patrimoine, éolien, chemins ruraux, rocades…
Trop peu d’adhérents poursuivent leur engagement avec la Fédération ce qui constitue un enjeu pour le futur de FE 53.
1. Organisation.
a) a) bureau et conseil d’administration au moins 4/an ;
b) b) lien France Nature Environnement Pays de la Loire pour :
§ une cohérence dans les politiques d’action, les missions ;
§ l’apport juridique ;
§ les orientations : nous y contribuons par notre retour d’expériences (méthanisation).
c) c) travail en binôme :
§ partage des domaines d’expérience et autonomie ;
§ rendre compte et constituer la mémoire à transmettre.
2. Résultats.
Nous sommes généralement informés de tous les projets en amont, et un projet sur deux suivis par FE a été modifié ou arrêté :
o abandon d’un projet : le méthaniseur de la Sara à Craon en 2014.
o déplacements des projets :
§ méthaniseur d’Alexain : d’un lieu à un autre ;
§ méthaniseur de Pommerieux à Livré-la-Touche ;
§ méthaniseur de L’Huisserie à Laval ;
§ méthaniseur d’Évron à Chammes ;
§ centrale d’enrobé Eurovia de Bonchamp à Chammes en 2014.
o projets modifiés, améliorés ou intervention au niveau de l’élaboration :
§ Azé : plan d’épandage modifié ;
§ Châlons-du-Maine : engagements sur la sécurité de la route ;
§ Meslay-du-Maine : déplacement du projet hors zone humide ;
§ Congrier : choix du site en concertation avec la FE.
o en agriculture, de nombreuses modifications des plans d’épandages, en général pour la protection de la qualité de l’eau :
§ Arquenay : retrait du projet de porcherie ;
§ Forcé : recours (plan d’épandage) ;
§ Bourgneuf : poulailler ;
o au niveau des carrières, abandon des projets :
§ St Brice-Bouère : retrait obtenu par l’association ETB ;
§ Forêt de Charnie ;
§ Lafarge à Martigné-Peuton : en cours (recours gracieux déposé).
o dans l’industrie :
§ Lactalis à Craon : enquête publique à refaire ;
§ Aprochim : de nombreux arrêtés qui ont entrainé la diminution de l’activité pour faire cesser la pollution ;
§ Bridor : plan d’épandage ;
§ PFC : nuisances d’odeur et problème de l’eau – 4 arrêtés de mise en demeure et recours de FE 53 sur le problème de l’eau.
6 – Agrément et habilitation
– – Agrément et habilitation (obtenus en 2014 et renouvelés une fois en 2019) : ils permettent à FE de participer aux commissions administratives et d’être sollicitée directement ou indirectement pour son expertise ;
– – Participation dans les différentes instances (Coderst, Commission de Suivi de Site (CSS), CDPENAF, Comité de l’eau, Commissions locales de l’eau …)
o Une vingtaine de CSS pour les carrières ;
o Industriels :
§ Aprochim (Seveso seuil haut) ;
§ Brenntag (Seveso seuil haut) ;
§ Titanobel (Seveso seuil haut) ;
§ Séché (Seveso seuil bas) ;
§ Bridor.
Dans la plupart des cas lors de ces commissions, seuls les représentants de FE 53, souvent accompagnés par MNE et des associations locales, préparent ces réunions et interviennent.
7 – Reconnaissance institutionnelle
– C’est écrit nulle part mais c’est parfois indispensable.
o Liens avec les préfets, qui pour certains, ont montré une sensibilité environnementale :
§ Mme BUCCIO : arrêtés limitant l’usage des pesticides sur les dossiers Bellebranche et Arquenay ;
§ Mme ORZECHOWSKI : Aprochim et Lactalis ;
§ M. VIGNES : Bridor, méthaniseurs d’Évron-Charnie et de Craon ;
§ M. LEFORT : PFC à Vaiges.
o Liens avec les services de l’État : ICPE, DDT, DDCSPP, DREAL, OFB…
– – À titre d’exemple le suivi d’un projet emblématique …qui parle à chacun !
L’usine PFC (Groupe LDC) à Vaiges qui déshydrate les sous-produits des abattoirs (plumes, viscères et sang) pour la fabrication de farines animales :
o enquête publique : novembre 2019 ;
o autorisation d’exploitation par le préfet en mars 2020 ;
o ouverture de l’usine en avril 2021 (en plein Covid) ;
o premiers signalements par les riverains d’odeurs insupportables. De mai 2021 à septembre 2022, il y en aura plus de 200 ;
o FE alerte le préfet en direct en septembre 2021 à propos du problème de l’eau en plus des nuisances visuelles et olfactives ;
o entre 2021 et 2022, la préfecture va émettre 4 arrêtés de mise en demeure ;
o dernier recours de FE en mars ;
o plus recours civil : les troubles auprès de la population sont reconnus.
Il faut maintenir le lien entre les parties coûte que coûte pour trouver des solutions.
Grâce aux expertises internes, les contacts sont établis avec les acteurs concernés, le préfet, les services internes, le maire, la commune, le conseil départemental, l’entreprise, la presse locale écrite et télé (LCI).
FE a participé à l’élaboration des arrêtés.
C’est un exemple démontrant la panoplie complète des actions de FE 53.
8 – Quelle conclusion ?
12 années d’une riche expérience humaine, avec des réussites, des succès, une méthode, une expérience acquise, dans un contexte environnemental difficile.
Comment poursuivre, renouveler les militants ?
– on est arrivé à la fin probable d’un cycle ;
– se réinventer sans se renier ;
– le modèle associatif/militant doit s’adapter.
Roger GODEFROY, le 13 mai 2023
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DES DATES CLÉS DE L’HISTOIRE DE FE 53
1982 : création de MNE puis sur la lancée d’une fédération départementale (la Fédération des Associations de Nature En Mayenne : FANEM) regroupant 5 structures seulement et qui ne vivra que quelques années.
MNE est membre de FANEM.
2008 : création de Pays de Loire Nature Environnement (PLNE) par La sauvegarde de l’Anjou, Sarthe Nature Environnement, Vendée Nature Environnement et MNE.
PLNE deviendra FNE Pays de la Loire.
2009 et 2010 : réunions entre les associations environnementales mayennaises organisées par MNE qui aboutiront à la création de FE 53.
14 janvier 2011 : création de FE 53 par 8 associations dont MNE.
Le nombre d’associations augmentera rapidement au fil des années.
FE53 se substitue à MNE comme adhérent de FNE Pays de la Loire pour y représenter la Mayenne.
2014 : obtention de l’habilitation et de l’agrément au titre de la protection de l’environnement.
FE 53 entre dans les commissions administratives aux côtés de MNE ou en se substituant à MNE. Une répartition des domaines de compétences est effectuée entre FE 53 et MNE dont l’objet prioritaire est la biodiversité.